Le GRAV
En 1960, je participe activement à la formation du GRAV (Groupe de recherche d’art visuel). J’en ai été un membre actif jusqu’à sa dissolution en 1968. Ainsi ai-je pris part à toutes ses analyses et à toutes ses prises de position, dans ses textes, dans ses interventions, dans ses œuvres collectives. Une grande partie de ma réflexion et de ma production est liée au GRAV tout au long de l’existence du groupe.
Ce premier texte théorique du groupe était affiché dans sur le mur de notre studio.
Nous croyons nécessaire d’affirmer que, dans notre attitude, nous avons exclu toute prétention à l’absolu ou au définitif.
Notre principale préoccupation est de prendre une position consciente dans le courant de l’art actuel sur le plan plastique et sur le plan social.
Nous sommes parvenus à une activité artistique par les moyens traditionnels (étude du dessin, de la peinture, de l’histoire de l’art). De cet enseignement découle naturellement la création d’œuvres individuelles et uniques, et l’extériorisation de la personnalité. À cette voie correspond une structure sociale bien établie : salons, galeries critiques d’art, etc.
Deux alternatives se présentent à nous :
– ou nous continuons dans le monde mythique de la peinture, avec notre degré de capacité artistique, acceptant la situation du créateur comme individu unique et privilégié, dont la position sociale est dès à présent établie ;
– ou, démystifiant l’art, nous le réduisons aux termes clairs équivalents à toute activité humaine.
Notre choix est fait !
Nous prétendons maintenant, au lieu d’un mécanisme obscur de création, nous intéresser au phénomène visuel vers lequel convergent nos conceptions et nos recherches pratiques.
Nous aimerions retirer de notre vocabulaire et de notre activité le mot art, en tout ce qu’il représente actuellement.
Il est vrai que certaines de nos expériences peuvent encore être appréciées d’une manière traditionnelle : dessin, tableau, relief, sculpture, etc.
En nous-mêmes commence à mourir l’idée de « l’œuvre artistique », du « morceau d’art ».
Nous savons que, pour obtenir des résultats dans cette voie, une longue étape de recherches sera nécessaire, jointe à une intense activité qui devra encore, en bien des points, se plier aux impératifs du panorama actuel de l’art. À cause de cela notre activité est accompagnée d’une confrontation continue, en vue de cette prise de conscience. Toute œuvre d’art plastique est avant tout, une réalité visuelle. Nous affirmons l’existence du dialogue visuel entre l’être et l’objet. Et nous plaçons le fait plastique non dans l’émotivité de l’être, ou la réalisation artistique de l’œuvre en soi, mais dans une relation de ces deux pôles par des constantes visuelles. Nos recherches se situent sur ce plan immatériel existant entre l’objet plastique et l’œil humain.
De là notre opposition aux réalisations plastiques qui s’adressent au monde subjectif de l’être, y recherchant par tous les moyens des résonances de caractère exclusivement émotionnel, ainsi que notre indifférence à l’égard des problèmes formels en tant que simple rhétorique de la surface, du volume, de l’espace du mouvement ou du temps. Le fait de placer nos recherches sur ce plan visuel entre l’être et l’objet, expliquera notre détachement de la forme en soi, avec son caractère particulier (Mondrian, Écrits, 1941), et notre intérêt pour les relations pures atteindra le point où la forme sera réduite à un degré infime d’expression individuelle, c’est-à-dire à l’anonymat et l’homogénéité. En étendant cette attitude aux relations, nous permettrons à celles-ci également homogènes et anonymes, de concrétiser un état visuel nouveau que les éléments isolés ne peuvent donner.
Dans le cours de nos recherches, se fera chaque fois évident notre éloignement de l’objet plastique en soi avec ses solutions propres, et également de sa relation avec le spectateur dans le sens d’un contenu défini à l’avance.
I - Études pratiques
1° La surface (écrans plans ou structures variées – concaves, convexes, en volumes, etc.) –
le relief – le volume – la couleur – le mouvement.
Utilisation de matériaux variés : plastique, plexiglas, matériel photographique, métaux et alliages, matériel électrique, projections, réflexions, lumière noire, etc.
2° Étude de méthodes de contrôle, du phénomène visuel, perception, loi de l’information, et essais d’application sur la probabilité et le hasard.
3° Création d’une plastique groupant textes et travaux.
II - Activité publique
Confrontation et critique des travaux avec participation extérieure au Centre. – Publication éventuelle et diffusion des idées du Centre. – Présentation périodique
des recherches.
G.R.A.V., Paris, fin 1960.
Au mois de juillet 1960, quelques peintres ayant eu une attitude artistique traditionnelle décidaient de créer à Paris un Groupe de recherche d’art visuel où seraient confrontées leurs recherches et unifiées leurs activités plastiques.
Le but était pour eux d’échapper aux courants actuels de l’art dont I’aboutissement est le peintre unique, pour essayer, par un travail en équipe, de clarifier les différents aspects de I’art visuel. Nous aimerions retirer de notre vocabulaire le mot art en tout ce qu’il représente actuellement. Nous préférons considérer le phénomène artistique en tant qu’expérience strictement visuelle située sur le plan d’une perception physiologique et non émotive. Nos expériences peuvent avoir encore une apparence traditionnelle – peinture, sculpture, reliefs – pourtant nous ne plaçons pas la réalité plastique dans la réalisation ou dans I’émotion mais dans la relation constante existant entre I’objet plastique et I’œil humain. Le problème du mouvement a été envisagé sous différents aspects. Nous en dégagerons quelques éléments à titre d’exemple, mais nous ne ferons pas ici I’historique de cette évolution.
1. Mouvement sur la surface :
a) représentation du mouvement (une grande partie de la peinture traditionnelle, cubisme, futurisme) ;
b) concept du mouvement dans I’art formel (Mondrian, Delaunay, Max Bill, etc.) ;
c) mouvement à base de la physiologie de la vision – mouvement virtuel (optique) (Albers, Vasarely, etc.).
2. Reliefs statiques :
a) mouvement optique (Tomasello, etc.) ;
b) mouvement obtenu par le déplacement du spectateur (Vasarely, Soto, Agam).
3. Surface en mouvement :
Mise en animation d’une surface déterminant une nouvelle situation optique (disques Duchamp).
4. Surface-écran :
a) cinéma (films, grattage, pellicule, dessin animé) ;
b) projections lumineuses (Schöffer, etc.).
5. Reliefs en mouvement :
a) actionnés mécaniquement (Tinguely, etc.) ;
b) animation naturelle.
6. Construction spatiale en mouvement :
a) actionnée mécaniquement (Schöffer, etc.)
b) animation naturelle (Calder, etc.)
(Plusieurs de ces aspects sont développés par les membres du groupe. Les peintres que nous citons ici sont mentionnés pour clarifier notre classification, leur énumération n’est pas limitative et n’a pas d’autre sens.)
L’idée de mouvement présuppose I’idée de temps. Avec le mouvement I’objet plastique quitte le plan spatial pour un plan spatio-temporel. La perception de ces phénomènes s’en trouve déplacée et nous pouvons établir la relation image - mouvement - temps. Toutefois, le mouvement peut être envisagé sous deux aspects :
1. Agitation gratuite.
2. Développement tendant à organiser une nouvelle situation visuelle.
Dans le premier cas, I’animation de I’objet plastique à pour but I’objet spectacle, ses résultats sont essentiellement d’ordre émotif.
Le rapport image-mouvement-temps peut être altéré en donnant à I’image ou au mouvement une priorité démesurée.
L’objet spectacle animé a existé de tous temps.
Mais le fait de faire pivoter une sculpture quelconque n’implique que I’incorporation du mouvement à une situation statique donnée.
Qu’entendons-nous donc par mouvement ?
Les trois facteurs image-mouvement-temps doivent être intégrés en un tout dont les composantes ne sauraient être dissociées. Leur rapport sera constant et une nouvelle unité ayant son existence propre va apparaître dans le champ visuel.
Cependant, ce n’est pas en tant qu’objet plastique que cette unité nous concerne.
Seule I’existence du rapport objet-œil nous intéresse.
Comment définir ce rapport ?
1. Sur une surface ou relief fixe.
La forme, considérée jusqu’à présent comme valeur en soi, et utilisée avec ses caractéristiques particulières, devient un élément anonyme réparti sur la surface. La relation entre les éléments acquiert ainsi une homogénéité et un anonymat pouvant créer des structures instables seulement perçues dans le champ de la vision périphérique. Le rapport objet plastique spectateur n’est plus constant. Un mouvement virtuel s’établit. La situation de cette perception s’en trouve modifiée.
2. Le mouvement réel :
La mise en animation de I’objet plastique modifiera les données précédentes en y incorporant le mouvement et le temps. Toutefois, nous ne I’envisageons ni comme sollicitation émotive, ni comme démonstration évidente, mais en tant que nouvelle proposition visuelle.
Cette situation nouvelle placée en dehors de I’objet sur un plan non émotif – entre celui-ci et I’œil humain – constitue un nouveau matériau de base pour développer de nouvelles méthodes d’approximation en utilisant les possibilités combinatoires, la statistique, la probabilité, etc.
La conception même de cet objet peut être envisagée soit en tant que déroulement immuable d’une situation donnée, soit en tant que proposition dans les différents agencements engendrant une infinité de situations visuelles possibles.
Paris, janvier 1961.
GRAV,Groupe de recherche d’art visuel.
Morellet, Le Parc, Sobrino, Yvaral, Stein.
Les recherches présentées par le Groupe de recherche d’art visuel dans le hall d’entrée de la troisième Biennale de Paris sont, d’une part, une transposition à une échelle architecturale de quelques-uns des principaux aspects de leurs travaux et, d’autre part, une ouverture vers de nouvelles expériences. L’intérêt de celles-ci est placé sur la participation du spectateur. Le rapport œuvre-spectateur qui a été développé par le Groupe se développe davantage et donne au spectateur une participation majeure.
II ne s’agit pas ici de l’intérêt traditionnel qui plaquait, d’un côté, I’objet à contempler (peinture, sculpture, etc.) et, de l’autre, le spectateur.
L’abandon du caractère ferme, définitif et statique des œuvres traditionnelles a été pour le Groupe un premier pas vers la revalorisation d’un spectateur toujours soumis à une contemplation conditionnée par son niveau de culture, d’information, d’appréciation esthétique, etc.
L’intérêt porté par le Groupe au spectateur est différent de celui que pourrait lui porter un esprit scientifique en quête de constatations et qui l’utiliserait comme un élément de statistique en le soumettant à des tests.
C’est aussi une voie différente de celle qui, préoccupée de cybernétique et d’électronique, laisse le spectateur en marge des réalisations hautement techniques ou le considère comme élément d’information pour produire des changements dans l’œuvre au moyen de cellules électroniques.
La voie du groupe est déterminée par la considération du spectateur comme un être capable de réagir. Capable de réagir avec ses facultés normales de perception et c’est lui qui a donné leur sens aux expériences proposées.
Certes, il ne s’agit là que de situations avec un caractère fragmentaire et limité, mais leur but est d’accentuer le rôle du spectateur en vue de nouvelles situations ou la distance entre l’œuvre et le spectateur n’existera plus. Dans une analyse sommaire voici énumérées quelques situations ou le spectateur est engagé à divers degrés :
Perception courante.
Point de repère. Spectateur en face de choses de la vie courante.
Prise de connaissance. Minimum d’observation.
Contemplation.
Point de repère. Spectateur en face d’une œuvre d’art. Délectation ou indifférence conditionnée par son niveau de culture, d’information, etc.
Activation visuelle (œuvres fixes).
Le spectateur est en face ou entouré par une surface ayant un haut degré d’homogénéité et de vibration. Participation du spectateur au moyen de la stricte sollicitation visuelle. Saturation.
Activation visuelle (œuvres en mouvement).
Le spectateur est en face ou entouré d’œuvres qui se transforment. La notion de commencement et de fin se trouve écartée. La participation du spectateur concrétise dans sa perception une mesure de temps où l’œuvre se réalise à lui.
Activation visuelle (œuvres fixes, déplacement du spectateur).
Le fait de se déplacer ou de tourner autour des œuvres produit des changements additifs plus ou moins accélérés. La participation due aux déplacements du spectateur devient l’élément fondamental d’animation.
Participation active involontaire.
En soumettant le spectateur à un parcours ou à un passage déterminé, on le met en face du fait que ce sont les éléments qu’il déplace ou bouge qui créent la situation proposée (le spectateur peut avoir une participation active volontaire en revenant sur ses propres mouvements).
Participation active volontaire.
Ici le spectateur est en face d’ensembles statiques, semi-statiques ou en mouvement. Sa participation est nécessaire pour produire la situation ou la modifier. II déclenche un mouvement, l’arrête ou produit des changements à volonté.
Spectateur actif, élément d’animation.
Le spectateur devient ici un élément d’animation qui va produire pour d’autres spectateurs une situation instable. Ombres fragmentées en mouvement et superposées, soit par la marche, soit par divers mouvements du spectateur. Ainsi, tandis qu’il participe à d’autres situations, il en crée une à son tour. Spectateur actif, sujet d’observation. En participant à d’autres situations, le spectateur devient sujet d’observation pour d’autres spectateurs.
Groupe de recherche d’art visuel, 1963.
(La description qui suit à un caractère tout à fait hypothétique.)
Ce lieu peut avoir le caractère ou l’apparence d’une galerie d’art expérimentale, d’une scène de théâtre, d’un plateau de télévision, d’une salle de réunion, d’un atelier d’école, etc., mais n’aurait aucun de ces caractères spécifiques.
Dans ce lieu il n’y aura ni tableaux accrochés au mur, ni acteurs, ni spectateurs passifs, ni maîtres, ni élèves, simplement certains éléments et des gens avec un temps disponible.
Ce lieu hypothétique pourrait être une grande salle de 15 x 15 x 6 m de hauteur, toute blanche, avec un jeu de panneaux et de ponts mobiles. De même une série de cubes de 50 cm de côté pourrait être assemblée pour créer divers niveaux de planchers et de volumes différents.
Peut être prévue une série de projecteurs avec des supports permettant les placements les plus divers avec toutes sortes d’orientations. Ces projecteurs pourront être équipés d’un jeu de caches pour limiter, fractionner, multiplier ou colorer le rayon de lumière.
Une série de tourne-disques à vitesse et intensités réglables, équipés de disques divers, ainsi que des magnétophones, microphones et amplificateurs seraient distribués dans divers points. Il est à prévoir aussi une série d’ensembles qui réagissent avec une faible participation du spectateur produisant des changements notables, soit de lumière, de son, de déplacement des éléments, etc.
II est certain que des expériences dans cet esprit pourront être envisagées dans des endroits publics : musées, théâtres, écoles, maisons de culture, endroits de vacances, etc., et requerront à chaque occasion des considérations particulières, en tenant compte des temps d’expériences, gens, moyens, finalité immédiate, etc.
Les possibilités d’expériences dans cette voie sont énormes et les variations des situations, multiples. Évidemment, dans une première étape et pour briser l’apathie ou l’inhibition des gens, il faudra trouver des solutions transitoires, par exemple un minimum de participation des personnes devra déclencher des modifications très importantes ; ou bien, à l’aide d’animateurs, maintenir un niveau d’interaction, en laissant surtout une grande marge à la libre initiative et à l’improvisation. À la rigueur on pourra solliciter le spectateur en le faisant participer à un jeu-concours avec un prix établi. Bien que limitatif, ce moyen pourra quand même éveiller chez le spectateur un intérêt.
Le facteur surprise est également à considérer.
Le résultat ou le caractère d’une situation dans ce lieu sera le produit de la participation active plus ou moins déterminante de chaque participant.
Ainsi se développeront un autre niveau de communication et la prise en considération d’une situation collective
à laquelle auront concouru toutes les actions particulières.
Des réunions pourront être établies avant ou après chaque séance afin d’analyser collectivement les développements d’une nouvelle séance et pour tirer les conséquences de ce qui a été réalisé. Les participants pourront ainsi déterminer les conditions, la durée et les éléments d’une séance.
Un registre des différentes situations et de leurs conséquences pourra être établi pour suivre le développement général de l’expérience.
Le G.R.A.V., dans la mesure de ses possibilités, tendra
vers la réalisation d’expériences de ce type et propose
à la Nouvelle Tendance Recherche Continuelle de discuter cette proposition.
Nous invitons les groupes ou membres de la N.T.R.C.
qui se sentent solidaires de cette proposition d’envisager avec nous ou séparément les modalités de réalisation.
J. L. P., Paris, juillet 1963.
(Garcia Rossi, Le Parc, Morellet, Sobrino, Stein, Yvaral. Groupe de recherche d’art visuel
Nous employons ce terme qui a déjà été utilisé à l’occasion de l’exposition « Nove Tendencije » de Zagreb en 1961. C’est un phénomène qui se produit chez les jeunes plasticiens d’une façon simultanée depuis quelques années et dans différents points du monde. Manifestations internationales et contacts partiels commencent à lui donner un caractère plus homogène. Les rapports chaque fois plus nombreux donnent une prise de conscience de ce qui est en train de prendre naissance dans les arts visuels.
La Nouvelle Tendance n’a pas un caractère définitif. Son évolution peut justement apporter de nouvelles façons de concevoir l’œuvre, de l’apprécier et de la placer dans la société. II s’en dégage une implicite considération critique vis-à-vis du panorama de l’art actuel.
Sur le plan des réalisations, une réaction naturelle se fait jour, d’une part, contre la situation stérile qui a fait suite à de légitimes révoltes et qui produit maintenant jour après jour des milliers d’œuvres qualifiées comme : abstraction lyrique, art informel, tachisme, etc., et, d’autre part, contre l’infructueuse prolongation d’un maniérisme attardé sur les formes géométriques et qui ne fait que répéter maintenant dans la plupart des cas, les propositions d’un Malevitch, d’un Mondrian. Considérons à part le courant actuel, néo-dada ou nouveau réalisme, qui provoque une certaine sympathie mais oblige à une analyse sévère. Une fois écarté l’aspect positif de son irrévérence vis-à-vis des traditionnelles considérations de beauté, apparaît en évidence la contradiction entre l’anti-art et l’effort pour redonner a l’objet un baptême artistique.
Évidemment, la Nouvelle Tendance, bien que réagissant contre ces courants, englobe encore certaines nuances qui en proviennent. On voit d’un côté une production nuancée d’art concret ou constructiviste, d’autre part, une certaine trace de tachisme et quelques parentés avec le néo-dadaïsme. Cependant la Nouvelle Tendance est surtout la recherche de clarté. Sous cet angle, il faut placer la considération sur l’œuvre non définitive, la valorisation visuelle, l’appréciation en termes plus justes de « l’acte créateur », la transformation de l’activité plastique en recherche continuelle sans autre préoccupation que de mettre en évidence les premiers éléments pour une tout autre considération du phénomène artistique.
Sur le plan conceptuel, la nécessité de donner une primauté à la présence visuelle de l’œuvre s’impose, car presque tous les courants actuels ont dû faire appel à des justifications extravisuelles, anecdotiques. (Ce chef-d’œuvre a été peint par l’artiste vêtu d’un costume de chevalier du Moyen Âge en 1628 ; ou sur ce tableau a roulé une femme nue, ou encore ce bouton collé sur ce relief appartenait au valet d’un marchand de tableaux bien connu et avec lequel l’artiste n’est plus en rapport). Cet appel extra visuel, on le retrouve sous un autre aspect : en faisant appel à l’imagination du spectateur pour qu’il éprouve un plaisir intellectuel en sachant que cette boîte fermée hermétiquement contient une ligne infinie ou de la merde de l’auteur (surtout ne pas ouvrir).
On retrouve toujours le même appel extra visuel, cette fois-ci chez les concrets, par exemple : pour tel tableau, dans lequel 6 lignes sont placées d’une façon irrégulière, le jeu hautement rationnel consiste à savoir que, malgré la dissimilitude apparente de ces 6 lignes, toutes les 6 ont la même longueur. Sans rien dire de tous ceux qui, avec des formes géométriques ou irrégulières, essaient de créer un rapport anecdotique quelconque, qui s’exprime par des titres, tels que : Toute l’âme résumée..., ou Autoportrait déchiré, etc.
Tout cela est une proie facile pour des mystifications disparates et fait croire à un aveuglement collectif. Voilà pourquoi le besoin de clarté et la volonté de mettre l’accent sur la présence visuelle de l’œuvre peut être la caractéristique la plus importante de la Nouvelle Tendance.
GRAV, Paris, mars 1962
L’œuvre multipliable s’inscrit de plus en plus dans l’actualité. En Europe comme en Amérique on s’oriente vers les « multiples ». Aussi importe-t-il de prendre conscience du problème, de son développement comme de ses limites. Car, pour nous, la multiplication représente une étape transitoire comportant à la fois des côtés positifs et des côtés négatifs.
En ce qui nous concerne, Groupe de recherche d’art visuel, nous sommes surtout intéressés par la multiplication d’œuvres qui permettent des situations variées, soit qu’elles engendrent une forte excitation visuelle, soit qu’elles réclament le déplacement du spectateur, soit qu’elles contiennent en elles-mêmes un principe de transformation, soit qu’elles appellent une participation active du spectateur.
On sait combien la multiplication d’œuvres par des procédés traditionnels – fonte, gravure, etc. – est ancienne. Il est d’autant plus frappant de constater que la notion de « multiple » a pris une brusque extension avec l’apparition d’œuvres ou de recherches cinétiques qui se caractérisent d’une part par un haut degré de dépersonnalisation (désaffection pour le geste et pour le « faire » de l’artiste), d’autre part par la possibilité de conserver, même quand l’œuvre est multipliée à partir d’une base rigoureusement identique, un aspect différent pour chaque exemplaire.
Reste que la multiplication n’est pas une panacée.
Si on se contente de multiplier des œuvres qui ne changent rien à la situation du spectateur et maintiennent sa sujétion, on ne fait que multiplier les contradictions de l’art actuel. £On ne résout en rien le problème qui nous préoccupe principalement : le divorce entre le grand public et l’art.
Multiplier les œuvres à prix modique – mais encore trop chères pour être à la portée de tout le monde – risque d’engendrer un type de collectionneur qui aura, à peu de choses près, les mêmes réflexes que l’amateur d’œuvres uniques. Certes pour une période intermédiaire la multiplication va permettre le développement d’une nouvelle couche de collectionneurs plus disponibles, moins enfermés dans l’esprit de possession – sinon de spéculation – plus désintéressés, moins compromis dans les données de l’art actuel.
Posséder une œuvre est moins aliénant quand cent personnes possèdent la même.
C’est en ce sens qu’on peut parler de l’ambiguïté du multiple, qui est encore lié à la tradition, mais qui d’autre part contribue à désacraliser l’œuvre unique, à enlever à celle-ci son caractère d’objet fétiche et de prétexte à spéculation. Cette ambiguïté de la notion de multiple nous interdit de considérer l’industrialisation de l’œuvre d’art comme une fin en soi. Avoir pour objectif d’imposer les multiples par milliers à travers des Monoprix peut être une intrusion valable dans une étape intermédiaire, surtout si ces multiples créent un rapport direct avec le spectateur. Par contre, si cette multiplication se fonde sur des œuvres qui continuent à avoir des exigences culturelles à l’égard du spectateur dépendant et passif et si elle ne se fixe pas pour but que de diffuser et « mettre l’art à la portée des masses », cela revient seulement à élargir ou quantifier les rapports déjà existants entre l’art et le spectateur sans en changer la nature. Car le vrai problème, en définitive, c’est toujours celui-là. Dans la mesure où la multiplication permet de remettre en question – même timidement – les rapports habituels de l’art et du spectateur, nous en sommes partisans. Mais ce n’est qu’une première étape.
La seconde pourrait être par exemple de multiplier non plus seulement des œuvres, mais des ensembles qui joueraient un rôle d’incitation sociale, tout en libérant le spectateur de l’obsession de la possession. Ces ensembles multipliables pourront prendre la forme de lieux d’activation, de salles de jeux, qui seraient montées et utilisées selon le lieu et la nature des spectateurs. Dès lors la participation deviendrait collective et temporaire. Le public pourrait exprimer ses besoins autrement que par la possession et la jouissance individuelle.
G.R.A.V., octobre 1966.
Un théâtre mobile, un anneau circulaire en mouvement à accélérations variables. La possibilité de réaliser une œuvre collective avec nos amis italiens, autant de bases nouvelles pour nos expériences. Des propositions communes sont établies, un programme mis sur pied.
Ce programme a été modifié à la demande des artistes italiens. En dépit de nos efforts, nous ne réalisons pas une œuvre collective unique mais deux expériences juxtaposées.
1. Obstacles : barres de bois mobiles suspendues à inclinaisons différentes.
2. Barres de bois suspendues, obstacle horizontal au ras du sol.
3. Tiges de métal à inclinaison asymétrique (son produit par le heurt des tiges l’une sur l’autre).
4. Anneaux de métal laqué rouge à franchir.
5. Dalle basculante circulaire montée sur roues.
9. Dalle basculante triangulaire montée sur roues.
10. Chariots à plateau mobile.
11. Fils de nylon suspendus. Obstacle tactile.
12. Cabines cylindriques au miroir courbe (aluminium).
13. Ballons suspendus. Obstacle franchi par écartement.
15. Bande sonore à manipuler.
16. Plafond mobile à forte inclinaison.
G.R.A.V. , 1968.