Surfaces
Initiées à la fin 1959, les premières expériences dans la surface ont été développées en réaction à ce qui prédominait dans le milieu artistique.
Un peu d'histoire
Sobrino et moi arrivons à Paris fin 1958. L'art à la mode qui envahit les cimaises s'appelle informel, tachisme, action painting, abstraction lyrique... De notre côté, nous prenons comme point de départ l'œuvre de Vasarely (en blanc et noir), les textes de Mondrian, l'analyse de certaines productions d'Albers et plus généralement le constructivisme ou les démarches qui incluaient la notion de mouvement.
Première préoccupation
Augmenter la distance entre l'artiste et l'œuvre en éliminant non seulement les traces de réalisation manuelle (le « coup de pinceau des maitres ») mais aussi les traces de composition subjective qui étaient encore évidentes dans l'œuvre des constructivistes puisque la composition y était obtenue par un choix de formes disposées librement sur la surface.
Constatation
L'opposition entre tachisme et constructivisme nous paraissait superficielle : dans les deux cas, formes et couleurs étaient disposées sur la surface selon des critères artistiques. Seule nuance, la ou, les uns utilisaient des taches, les autres employaient des formes géométriques.
Une voie
Notre préoccupation : trouver des systèmes unitaires pour régir la surface, les formes et leur relation sur le plan, dépendant d'un programme déterminé.
Clarification
Ces systèmes n'avaient en eux-mêmes aucune importance. Simples instruments de travail, ils nous permettaient d'exercer un contrôle sur les résultats, notamment en ce qui concerne la vision périphérique du spectateur. Nous nous interdisions d'intervenir « artistiquement », une fois le système projeté mécaniquement sur la surface, et de casser l'homogénéité du résultat obtenu.
Un souvenir
Un tableau de Vasarely nous aurait d'autant plus satisfaits qu'il aurait respecté la trame et laissé la surface se couvrir de carres uniformes sans introduire de modifications. Nous discutions avec Vasarely notre méthode de travail à base de systèmes. II la trouvait légitime mais revendiquait pour sa part le droit d'intervenir (même sur des trames régulières) et de produire des changements qui manifestent la personnalité créatrice de l'artiste. Une argumentation semblable était développée devant nous par Max Bill, un autre artiste de la génération de Vasarely.
Kalte Kunst
Les exemples de recherche systématique que nous avions pu étudier à l'époque (notamment dans le livre de Karl Gerstner : Kalte Kunst, qui analysait des œuvres de Bill, Lohse, Gerstner, etc.) nous semblaient trop insister sur l'aspect arithmétique et ne tenaient pas compte du rapport que la surface ainsi traitée allait avoir avec les yeux. Plutôt que des spéculations rationnelles sur l'organisation de la surface, notre référence de départ était l’œil du spectateur.
Une rencontre
Poursuivant nos recherches, nous avons rencontré Morellet, l'un des rares artistes français qui, de son coté, travaillait depuis longtemps sur des problèmes proches des nôtres. Nous avons commencé à envisager avec lui la constitution d'un groupe de travail.
Avant la couleur
Mes recherches se développaient à partir du noir et blanc, ou encore à partir du noir, du blanc et du gris - les systèmes logiques mis en place servaient a contrôler les résultats visuels de la surface traitée.
Progressions
Les systèmes que j'utilisais le plus fréquemment étaient fondés sur les progressions qui se développaient de gauche à droite, de haut en bas, de bas en haut. De sorte que chaque forme était étroitement solidaire de toutes les autres. Leurs relations dépendaient d'un systèmes préalablement établi.
La forme
Ainsi nous attaquions-nous à la notion de forme reconnaissable avec ses valeurs propres, ses significations, ses suggestions, etc. Les formes devenaient anonymes, leurs rapports aussi, au profit d'une surface active capable d'établir une connexion visuelle avec le spectateur. Nous ne nous attardions pas sur une forme en particulier, ni sur une façon particulière de la situer dans la surface. Nous utilisions des formes géométriques simples (carrés, cercles, rectangles, etc.) parce que nous les estimions plus neutres que les formes irrégulières. Mais nous n'avions aucun parti pris en faveur de la géométrie. C'est ainsi que nous prenions en considération, à l'époque, certains tableaux de Pollock et de Tobey. L'uniformité y était obtenue par la répartition de taches identiques disposées sur toute la surface. On pouvait imaginer que ces tableaux se continuaient au-delà du cadre. Les formes utilisées n'avaient en elles-mêmes aucune valeur.
Julio Le Parc, 1970