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Lumières

Lumières
 
Les premières expériences avec la lumière furent réalisées fin 1959. Elles utilisent la lumière dans de petites boîtes dont le but est de reproduire, multiplier et combiner, au moyen d’écrans composés avec des plaques de plexiglas en forme de prismes, des carrés et des cercles utilisant une gamme de quatorze couleurs. Comme dans d’autres recherches, il ne s’agit pas ici de faire des tableaux lumineux. La lumière n’était qu’un moyen, comme le plexiglas ou les formes géométriques, pour concrétiser certaines de mes préoccupations, telles que d’appréhender le potentiel de variations ainsi induites et le manifester dans un seul champ visuel.
 
De nombreuses expériences furent réalisées, dérivées du maniement des matériaux et de la différenciation des problèmes. Je voulais également faire coïncider simultanément, au moyen de la réflexion, des plaques en plexiglas à 45°, les éléments fixes ou mobiles placés de chaque côté. Ainsi, les formes reflétées de chaque côté s’interpénètrent par leur transparence et semblent être suspendues dans l’espace. Dans d’autres expériences de la même série, des plaques en plexiglas sont disposées en profondeur, de sorte que les images latérales, en s’éclairant alternativement, créent des séquences visuelles de huit situations en profondeur. Plusieurs thèmes peuvent être soumis à toutes ces boîtes expérimentales, en les alternant et en les combinant de diverses manières.
 
D’autres expériences avec la lumière dérivent des éléments mobiles originellement destinés à l’intérieur des boîtes. Sur la base de la réflexion de la lumière sur un fond à travers de petites plaques en plexiglas ou en métal, une série d’expériences combine l’emplacement des sources de lumière, l’inclinaison des éléments suspendus, la forme des fonds. Cette série m’amena à réaliser, en 1962, un ensemble destiné à une chambre blanche dans l’obscurité. L’ensemble est placé au milieu de la chambre. Les éléments suspendus reçoivent quatre rayons de lumière et dispersent leurs reflets horizontalement, verticalement et obliquement sur les murs, sur le plafond et sur le sol.
 
En 1962, je fis d’autres expériences en utilisant un rayon de lumière artificielle. L’une d’elles consiste à projeter un rayon de lumière sur un cylindre qui réfléchit le rayon, en le déformant, sur un cercle en bois peint en blanc qui sert de fond au cylindre. Ce rayon est ensuite intercepté par des éléments mobiles qui le fractionnent de diverses manières. Le résultat visuel sur le cercle blanc est un jeu constant et imprévisible d’ombres et de lumières, dont les limites sont fixées d’avance. Le même principe de lumière rasante fut alors appliqué à d’autres expériences. À la même époque, je réalisai d’autres expériences pour visualiser des rayons lumineux dans l’espace. D’abord, j’essayai de suspendre, dans de petites boîtes en plexiglas transparent, des particules au moyen d’air, afin de faire traverser ces boîtes par des rayons en mouvement, mais j’ai fini par utiliser de l’eau dans de petits aquariums. L’eau, colorée avec de l’aniline fluorescente, rend parfaitement visibles les rayons lumineux qui la traversent. À partir de cette expérience, je conçus une salle pour fumeurs dont les murs, percés de petits orifices, font jaillir des rayons lumineux en mouvement afin que l’air de la salle, raréfié par la fumée, permette de visualiser les rayons qui le traversent en tous sens. Pour circonscrire le spectateur, le placer au centre d’un phénomène, l’entourer d’une situation visuelle, quelques expériences furent réalisées dans le premier labyrinthe que notre groupe présenta à l’occasion de la Biennale de Paris de 1963. Dans ce labyrinthe, trois de mes propositions associent la lumière à des éléments réfléchissants pour donner forme à trois cellules que le spectateur est invité à traverser. Ces expériences excluent la possibilité d’appréhender le phénomène d’un seul coup d’œil comme dans le cas des tableaux traditionnels accrochés à un mur, ou des sculptures sur socle autour desquelles tourne le spectateur. Au contraire, elles le plongent dans une situation visuelle en le sollicitant simultanément de tous les côtés, afin que l’image perçue pendant son passage soit le produit de son temps d’arrêt dans cet espace, des mouvements qu’il y effectue, des images qui y sont produites successivement, etc.
 
De la même façon, mais avec des thèmes plus simples, je fis en 1968 deux autres cellules, dont une couverte de lignes lumineuses parallèles avec un écart d’environ 30 centimètres, en constante vibration, et l’autre avec des murs courbes balayés sur toute leur longueur de lumières verticales qui se déplacent de gauche à droite à des intervalles irréguliers et à des vitesses différentes.
 
 
Lumière pulsante

 

Un élément réalisé en 1964 est à l’origine d’une autre série d’expériences. Il s’agit d’un disque en aluminium poli de 60 centimètres de diamètre qui tourne à grande vitesse sur un axe légèrement dévié, sur lequel est projeté un rayon de lumière. Ce qui produit deux phénomènes. D’une part, les images sont renvoyées par la plaque « miroir », cela dans un mouvement saccadé constant, incluant la lampe du projecteur qui décrit un cercle lumineux dans le reflet. D’autre part, la lumière est projetée par la plaque, éclairant rapidement et alternativement les objets, ce qui produit une vibration continue due au déplacement rapide de la lumière et de l’ombre. Avec la première formule, je réalisai quelques expériences utilisant plusieurs sources de lumières qui tracent un dessin sur la plaque circulaire quand celle-ci tourne à grande vitesse.
 
Avec la seconde formule, je réalisai une série de combinaisons avec la lumière, fixe et fractionnée par un cercle ou un cylindre avec des trous tournant rapidement devant ou autour d’elle (principe de la lumière pulsante), qui éclaire des éléments blancs que le spectateur met en mouvement. Si le cylindre qui tourne rapidement autour de la lumière est fractionné en deux couleurs (vert et violet), les éléments blancs qu’elle éclaire, mis en mouvement par le spectateur et s’agitant rapidement, décomposent la lumière en faisant apparaître les mêmes éléments verts et rouges. Un ensemble de ces expériences fut exposé en 1966.
 
 
Projections

 

Suivant le même principe je réussis, au moyen d’une loupe, à projeter la lampe elle-même en vibration sur un écran. D’autres expériences avec projections sur écran furent réalisées parallèlement et, parmi elles, la projection d’un rayon lumineux à travers un grand nombre de petits miroirs carrés montés sur un ressort qu’un moteur met en vibration. Le reflet de la lumière sur chaque petit carré projeté en vibration sur l’écran produit des cercles qui se déforment à mesure que la vibration ralentit, jusqu’à devenir un point lumineux.
 
 
Lumière

 

Ces expériences avec la lumière et le mouvement se rattachent au principe d’éloignement d’une œuvre fixe, stable et définitive. Le spectateur se trouve devant ou entouré par le développement d’une multitude de changements. Le support uniforme des éléments ou des formes accentue sans distraire l’instabilité mise en évidence. Ainsi le spectateur perçoit-il une partie des changements, ce qui suffit pour saisir le sens total de l’expérience. À cette époque, je pensais que mon intervention se limitait à confronter quelques éléments et qu’une fois le rapport établi, le résultat visuel obtenu en était la conséquence. Je pensais que cela devait être évident pour le spectateur et qu’il n’avait pas à chercher les motivations émotionnelles, esthétiques ou autres qui m’auraient conduit à choisir telle ou telle image. Dans l’œuvre d’art traditionnelle, tout est fixé par un système de signes et de clefs qu’il faut connaître au préalable pour être en mesure de l’apprécier. Face à cette situation, nous pensions que la présentation d’expériences aux possibilités de changements multiples – dont les images étaient le résultat de la simple mise en rapport de quelques éléments plus ou moins complexes et non celui d’une main savante ou inspirée de l’artiste – constituait un moyen, limité, certes, mais efficace, de commencer ou de poursuivre la démolition des notions traditionnelles sur l’art, son faire, son spectacle et son appréciation. 
 
Julio Le Parc, 1971

Double Concurrence-Continuos Light 2, 1961

bois peint, métal peint, plastique, nylon, 53,4 x 50 x 143 cm

CoLL MoMA, New York

Boîte de lumière, 1960

bois, métal, plastique, lumière, 20 x 20 x 6,5 cm

Boîte lumineuse, 1960

bois, plastique, lumière, 40 x 63 x 15 cm

Continuel-lumière boîte n°3, 1959-1965

vue de l'exposition au PAMM, Miami

Continuel-lumière boîte n°3, 1959-1965

lumière, bois, moteurs, 90 x 90 x 24 cm

Cercle projeté, 1965

métal, bois, lumières, moteur, verre, 113 x 30 x 30 cm

Image fractionnée, 1970

métal, bois, plastique, lumière, 47 x 60,5 x 37 cm

Images projetées, 1962 ↑→

bois peint, métal, moteur, lumière, dimensions variables

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bois, métal, moteur, lumière, 256 x 93.5 x 26 cm